Voici près de 20 ans, était lancé ce projet de reforestation, parfois qualifié de pharaonique, injustement de mon point de vue, car il est juste à la dimension de cet immense continent qu’est l’Afrique. Il est aussi la marque d’une réflexion à la dimension des problèmes à venir.
Le plus important est qu’il ait été lancé à l’initiative des dirigeants africains et qu’il porte en lui les ferments d’une pensée unificatrice dans un espace pluriel.
Une utopie environnementale exemplaire
C’est une utopie environnementale exemplaire qui s’inscrit dans la lignée de nombreux projets antérieurs dont les échecs sont autant de leçons pour l’avenir, en cela il est universel. Ce projet confirme l’ irrépressible propension de l’Homme à se défier lui-même dans sa capacité à faire, et en cela, ce défi confirme l’éternel besoin humain de sécuriser son environnement.
Cette fois-ci le projet a vocation à réussir et les ressorts de cette réussite sont inscrits dans ses propres contradictions et imperfections, ses enjeux et ses défis. Au-delà du projet environnemental, se profile en effet la relecture d’un lien avec la nature dont le texture ne cesse de se modifier. Ce processus n’a de chance que si les consciences se mobilisent dans une alliance renouvelée entre les savoirs ancestraux et la démarche scientifique, la connaissance et la vie des populations locales dans leurs difficultés et leurs interrogations face à l’avenir.
Des projets locaux interreliés
La Grande Muraille verte pose d’emblée la question de l’échelle du temps et de la dimension géographique dans une dimension planétaire indubitable. Ainsi le débat peut se poser d’une question de point de vue, tout comme pour l’énergie. Faut-il favoriser de grands projets quasi « industriels » chiffrés en milliards…de dollars, d’hectares, de plantations…..où faut-il se projeter dans une mise en œuvre « mosaïque » de micro-projets implantés à l’échelle de territoires cohérents ?
La vision d’une confrontation des deux méthodes mérite d’être dépassée, en cela la Grande Muraille verte préfigure une voie pour des solutions à venir. Concevoir des projets sur une échelle suffisante pour exister et impacter mondialement, mais qui se réalisent localement dans une mise en place interreliée, connectée. Mise en œuvre où le maître mot serait le partage des connaissances pour les appliquer dans une volonté de perfectionnement permanente, partage destiné au plus grand nombre et non pas réservée à une élite où à des opérateurs confisquant les résultats à leur profit.
Faire reculer le désert implique de le connaître, de le reconnaître et donc, et surtout, de ne pas se couper de celles et ceux qui y vivent. Cette volonté toute humaine doit également adopter une attitude d’humilité au regard de l’histoire géologique, environnementale, humaine, tout simplement. Les connaissances sur une « perspective sahélienne » montre que le grand cycle historique du Sahara mérite d’être connu et partagé car il impacte notablement la vision des travaux à réaliser et surtout des conditions dans lesquelles ceux-ci se font et se feront. L’histoire de notre hominisation est indissociable de celle du climat de notre planète et de la mécanique subtile et complexe de notre habitat commun qu’est la biosphère.
« Fabriquer de la Paix »
L’impact des travaux humains sur l’environnement est fragile, aléatoire et profondément marqué par le temps historique. En cela la lutte contre la désertification est à placer au rang des causes planétaires, de la manifestation tangible de notre destin commun. Ce geste ancestral qui consiste à faire lever un plant dont les besoins biologiques, naturels, sont bien connus, place notre espèce face a ses responsabilités. Ce geste est aussi à reconnaître dans sa dimension ouverte à l’avenir. Un geste prosaïque, qui doit être porté par la volonté de s’inscrire dans le temps des saisons. Un geste qui force le respect car il suppose ténacité , abnégation, simplicité.
La force de la Grande Muraille verte est là, c’est notre miroir, notre aiguillon, car elle est à même de fabriquer de la Paix en permettant aux habitants de vivre décemment dans une perspective culturellement vitale, intangible. Faire société avec son environnement, et non pas contre, tel est l’enseignement donné par cet acte de forestation . S’il se fait dans l’incertitude du résultat il ne vit que dans l’espoir même de ce résultat, une culture de l’incertain combattue par le permanent désir de voir grandir ce qui a été mis en terre. Un sentiment qui fait émerger, par la solidarité des gestes accomplis en commun, une raison sans cesse renouvelée de vouloir accéder à ce qui rend nos vies paisibles.
« Une voie pour notre Humanité »
C’est un projet pour le temps long au regard de l’actualité, 50 à 60 années, mais un temps si court au regard de notre histoire humaine de 7 000 000 d’années, celles de Toumaï découvert par notre ami Michel Brunet.
On ne redira jamais assez que la Grande Muraille verte est plus qu’un projet, c’est un défi dont le caractère utopique lui confère la valeur d’un Trésor planétaire, d’une voie pour notre Humanité et son devenir.
Ce Trésor végétal est donc le témoin contemporain d’une lutte entre éros et thanatos qui nous dicte par sa simplicité une conduite à tenir.
Propos recueillis par Didier Moreau, rue Jean-Jacques Rousseau, à Montpellier.